Septembre 2019 – (Lecture 6 minutes)
➡️ Contexte
- 16/05/17 : Premier vol commercial. Le B737 MAX, 4e version du Boeing 737, se décline en : B737-MAX 7, 8,9 et 10.
- 29/10/18 : Le vol de Lion Air 610 reliant Djakarta à l’île de Bangka (Indonésie) s’écrase en mer 13 minutes après le décollage, faisant 189 morts. L’appareil est un B737 MAX 8.
- 10/03/19 : Le vol 302 d’Ethiopian Airlines reliant Addis Abeba à Nairobi s’écrase au sol 6 minutes après le décollage, faisant 157 morts. L’appareil, un Boeing 737 MAX 8, avait été livré en Novembre 2018. L’analyse du crash d’Ethiopian révèle très vite des similitudes avec celui de Lion Air : difficultés à prendre de l’altitude, commandes inopérantes, survitesse. L’enquête conclut à une interaction néfaste du MCAS, le système informatique de stabilisation de l’appareil, avec des données erronées d’une sonde, conduisant à faire piquer l’appareil au lieu de le maintenir stable.
- 13/03/19 : Les différentes autorités décident de suspendre le Boeing 737 MAX de tout vol et à partir du 13 mars dernier, plus aucun appareil de ce type n’est autorisé à voler dans le monde entier. Cette décision immobilise 371 appareils de 54 compagnies aériennes réparties dans 34 pays différents.
A ce jour, aucune date n’est connue pour la reprise des vols. Cette situation inédite a généré des conséquences pour l’ensemble du transport aérien.
➡️ Conséquences pour les compagnies aériennes impactées
A court terme, ce sont des dizaines de milliers de vols qui ont été annulés. Southwest, possesseur de 34 B737-8, a été contraint d’annuler 10 000 vols et a chiffré l’impact financier à 200 millions de $. American (24 appareils en service) a estimé à 350 millions $ l’impact sur ses comptes. Pour Norwegian (18 appareils), ce sont autour de 50 millions $. D’autres compagnies n’ont pas communiqué de coûts, préférant négocier avec Boeing une compensation sur leur perte d’exploitation. Des pilotes de Southwest, formé au 737 MAX entendent intenter une action en justice car mais ne pouvant voler, subissent une perte de revenus liée à leur qualification.
De plus, il faut ajouter le délai incompressible entre la date de la levée d’interdiction de vol et la date effective de reprise des vols par les compagnies aériennes. Southwest, par exemple, estime ce délai autour de 1 à 2 mois. La mise en application des mesures exigées par la FAA, la formation des pilotes, les modifications du programme des destinations, la montée en charge des réservations des clients sont autant de jalons opérationnels à franchir avant de pouvoir exploiter de nouveau le B737 MAX.
➡️ Conséquences pour Boeing
Les annulations de commandes de 737 MAX se multiplient. Si 371 appareils étaient en service au moment du second crash, le total des commandes dépasse les 5 000 unités. Et certaines compagnies ont commencé à annuler leur commande.
A l’inverse, la prolongation de la suspension des vols entraîne un engorgement des appareils sortis d’usine qui doivent être stockés en attendant le feu vert des autorités de contrôle. En effet, la cadence était de 52 avions produits par mois avant la suspension, passée à 42 actuellement. Mais à ce rythme, si la suspension se prolonge au-delà de 2019, un stock de 430 B737-MAX restera « sur les bras » de Boeing générant un véritable casse-tête pour les entreposer en attendant la reprise des livraisons. Lors de la publication des résultats du deuxième trimestre, le pire trimestre de l’histoire de l’avionneur, Dennis Muilenburg, PDG de Boeing, n’a pas exclu un arrêt de la production si la décision de reprise des vols s’éternisait. Un moyen détourné pour mettre la pression sur la FAA et sur les sous-traitants dont le motoriste CFM International, filiale à 50% du groupe français Safran. Un arrêt complet signifierait la mise au chômage technique de dizaines de milliers de salariés, aux USA et en Europe. L’impact pour les sous-traitants de Boeing est estimé entre 15 à 25% du chiffre d’affaires.
Boeing a provisionné 5,6 milliards de $ pour indemniser les clients du 737 MAX, auxquels s’ajoutent 1,7 milliard $ de surcoût lié à la baisse de cadence de production. Ces montants pourraient être revus à la hausse, car Boeing a basé cette provision sur une reprise des vols au début du quatrième trimestre. Or, les experts indépendants jugent d’ores et déjà quasi impossible une reprise des vols avant 2020, ce qui alourdirait la facture à plus de 10 milliards de $.
Au-delà du coût financier, la capacité de l’avionneur à regagner la confiance de ses clients et des pilotes demeurent inconnues. D’autant plus que des articles de presse relaient les pratiques discutables de la firme de Chicago. Lors d’un important deal avec Air India, le gouvernement indien a négocié que Boeing investisse dans des firmes indiennes spécialisées dans la sous-traitance de développements informatiques. Or, le travail de ces sous-traitants s’est avéré en dessous des normes de qualité fixées par le constructeur. Les ingénieurs de Boeing qui ont retravaillé le logiciel, ont subi la pression de la hiérarchie qui leur ont demandé d’être moins pointilleux. Des témoignages d’anciens employés pointent les pressions pour réduire les coûts de production et minimiser la réalité des modifications effectuées afin d’éviter des contrôles supplémentaires de la FAA.
La concurrence féroce entre Boeing et Airbus a visiblement pesé dans cet engrenage de causes. L’A320neo et le B737 MAX sont les deux modèles moyen-courrier de nouvelle génération, moins énergivores et appelés à devenir les best-sellers du marché. Si le carnet de commande du 737 MAX atteignait les 5 000 appareils à la date de la suspension de vol, l’A320neo compilait plus de 3 900 unités.
Autre point inquiétant : Les deux avions d’Ethiopian et Lion Air ne possédaient pas l’indicateur d’angle d’attaque qui affiche la valeur des deux capteurs, ni le voyant d’alerte signalant l’incohérence de ceux-ci. Ces options, bon marché à la production sont facturées en supplément par Boeing.
➡️ Conséquences pour la FAA et le processus de certification
Autre accusée dans ce dossier : la FAA (Federal Aviation Administration) n’a pas procédé elle-même à l’ensemble des contrôles. Devant l’accroissement de technologies complexes des nouveaux appareils, l’autorité américaine de certification a délégué aux constructeurs les processus de certification, arguant que les professionnels sont les mieux à même de vérifier leur travail. Devant le Congrès américain, la FAA a fait la démonstration que si elle devait contrôler elle-même l’ensemble des éléments d’un avion, il en coûterait 1,8 milliards de $ annuels en main d’œuvre supplémentaire (soit 10 000 employés).
D’anciens ingénieurs vont plus loin et pointent les pressions exercées par le patron de la FAA afin que les agents du certificateur soient « respectueux » envers Boeing. D’autres employés ont découvert qu’après le crash de Lion Air, ils n’avaient pas totalement analysé le logiciel MCAS et qu’ils n’en avaient qu’une connaissance partielle, ignorant notamment les risques de piqué de l’appareil en cas de dysfonctionnement des sondes. Malgré cette découverte, les officiels de la FAA n’ont pas suspendu de vol les B737 MAX ! Elle publia simplement un rappel des procédures d’urgence à appliquer par les pilotes. Or, l’analyse des boîtes noires du second crash démontre que ces procédures d’urgence ont été appliquées à la lettre par les pilotes d’Ethiopian et que ça n’a rien changé : l’appareil s’est écrasé, en position quasi verticale. Toutes ces négligences portent un coup à la nécessité d’indépendance de l’autorité de contrôle américaine. Le risque du conflit d’intérêt a visiblement été sous-estimé !
➡️ Conclusion
Les raisons d’un crash aérien sont souvent dues à une combinaison de facteurs. Ce qui est nouveau dans la situation des crashs du 737 MAX, c’est qu’il apparaît que des négligences funestes ont été commises à différents niveaux, avec comme point commun la pression économique. Pour des questions de délais, d’argent et d’arrangements entre amis, toutes les règles de sécurité n’ont pas été respectées.
L’analyse du second crash est sans appel : un problème de conception du logiciel de Boeing est à la base du crash. Mais la FAA ne l’a pas détecté et même après le premier crash n’a pas jugé nécessaire de revoir l’ensemble du processus de certification. Enfin, les procédures d’urgence rappelées par la FAA ont été inefficaces pour rétablir l’assiette de l’appareil.
Des problèmes successifs de conception, de certification et de procédure : tel est la combinaison dramatique qui a conduit à ces deux crashs.Comment Boeing et la FAA vont se relever après de telles révélations accablantes? Nul doute que la FAA prendra cette fois-ci son temps pour accorder son autorisation de vol au 737 MAX. Si elle lui accorde un jour…