Ernest Hemingway y a fait escale pendant plus de vingt ans, Fidel Castro en a été le mentor plus de 50 ans, Mick Jagger y a été en concert… Cuba, destination légendaire aujourd’hui en pleine mutation, continue de fasciner, dérouter et enchanter.
La Havane, plus particulièrement, séduit par son charme suranné, ses bâtisses colorées du début du siècle, ses ruelles ponctuées ici et là par les « belles américaines » des années 50. On y va aussi pour l’ambiance « caliente », l’irrésistible appel du Malecon ou encore la musique et l’esprit de fête omniprésente. Isolés du monde et de l’Amérique depuis 1962, les Cubains ont su préserver leur culture insulaire tout en s’inspirant de la modernité et développer un sens inné du recyclage des objets chinés. Leur sens de l’adaptation face au régime de Fidel Castro a permis au pays de garder un cachet n’existant nulle part ailleurs, un voyage dans le temps pour ses visiteurs. La levée de l’embargo américain survenu le 17 décembre dernier va t-il changer la donne ? Quelles sont les conséquences pour Cuba, ses habitants et ses touristes ? Décryptage avec Annie Morel, gérante chez Ambiance vacances.
CCE : quelles sont les conséquences de la levée de l’embargo américain ?
Annie Morel : Dans les années 2008, l’embargo se ressentait par l’omniprésence de l’ « l’état policier ». Les gens n’osaient pas trop s’exprimer. Aujourd’hui, il existe une liberté de parole. Il s’agit là de la vraie grande révolution qui fait d’ailleurs partie du processus d’évolution vers l’ouverture du pays. La deuxième chose qui a changé c’est la possibilité pour les Cubains, d’acquérir un lopin de terre qu’ils peuvent cultiver en privé et les vendre en fixant eux-mêmes les prix. Enfin, avec l’accélération de la libéralisation de l’île, la mixité est favorisée. Auparavant, il y avait les hôtels destinés à la clientèle étrangère et les hôtels pour les Cubains. Varadero, la station balnéaire par excellence était par exemple un no-mans land, uniquement accessible aux touristes et aux employés sur la zone. Il fallait même franchir des « check point » à l’entrée de la presqu’île. Ces check points sont toujours présents, mais les Cubains y ont désormais accès. Le séjour devient plus intéressant pour les touristes car les échanges sont réciproquement facilités.
On parle d’ouverture, mais l’embargo n’est pas réellement levé… Concrètement ça veut dire que le pays souffre encore des contraintes d’approvisionnement et que les pénuries continuent. Prenons le cas des devises par exemple : deux monnaies sont en circulation sur l’île, le pesos cubain et le CUC. Le salaire moyen tourne autour de l’équivalent en pesos, de 15 CUC, autrement dit 15 dollars. Avec les pesos, les Cubains n’ont accès qu’aux magasins de ravitaillement. On y trouve des produits de première nécessité comme le lait, le riz, l’huile, café, etc. Dans tous les autres magasins, on trouve des produits importés comme du savon, des vêtements, de la lessive, etc. les prix sont en CUC, dont inabordables. Pour les touristes, rien n’a vraiment réellement bougé. Actuellement l’île accueille à peu près 2 millions de touristes par an. Si la levée de l’embargo se concrétise, on prévoit jusqu à 5 millions de touristes par an, autant dire un raz de marée. Or Cuba n’est pas prêt pour un tourisme de masse car l’offre hôtelière n’est pas assez développée pour cela.
CCE : côté touristes, le changement n’est pas pour maintenant alors ?
A.M : disons que les premiers frémissements se font sentir. Cela s’explique par la médiatisation de la levée de l’embargo. Les gens se disent que « c’est maintenant qu’il faut y aller parce que l’île risque de changer complètement ». Sur le marché français, depuis février 2015 les demandes de devis pour des voyages de groupes sur Cuba ont été multipliées par 10. La conséquence immédiate est que les tarifs ont augmenté entre 2015 et 2016. Donc les touristes ont tout intérêt à passer par une agence.
CCE : trois bonnes raisons d’y aller en 2016 ?
A.M : premièrement c’est vraiment le moment parce qu’il y a encore cette ambiance typique de l’île avec une population qui n’est pas encore versée dans l’économie libérale et le business, même si ça commence tout doucement… Ensuite, contrairement à d’autres destinations caribéennes, Cuba est culturellement parlant, une mine d’or complètement préservée : la musique y est omniprésente, dans les rues, dans les transports, le long du Malecon**** ; les maisons au charme désuet offrent un cachet visible nulle part ailleurs ; les indémodables américaines circulent encore avec cette même nonchalance. Enfin, Cuba compte des villes fantastiques : Trinidad dont le centre ville est jalonné de vieux palais ; Santa Clara la ville du Che ; Vinalès, un paradis de verdure ; San Diego et son carnaval ; Varadero « the station balnéaire », un spot extraordinaire pour le farniente, le repos face au sable blanc et une mer translucide.
CCE : Quels coins conseillez-vous de visiter à La Havane ?
A.M : toute la ville est magique. La Calle Obispo est la rue piétonne sympa de la vieille ville. On peut s’y balader au rythme des scènes de rue, au gré des petites maisons qui sont des mini-musées, entrer dans les petits bars où les orchestres live sont pléthores comme Le Guajrito pour y écouter de la musique du Buenos Vista Social Club …. C’est d’ailleurs assez étonnant parce que les pas du promeneur finissent toujours par mener au Capitole ou le long du Malecon. Et puis il y a les écoles de danse un peu partout. Comme dans la plupart d’entre elles, celle de Tonino Mendez, qui se situe dans un quartier très populaire de La Havane, permet aux passants d’assister gratuitement aux répétitions. Ca vaut le coup de s’y arrêter parce que Mendez est un personnage à part entière, un passionné de danse qui dégage une énergie extraordinaire. Il faut savoir que la musique et la danse tiennent une place primordiale dans la vie cubaine.
**** Construit à partir de 1902 pour protéger La Havane des vagues, le Malecon est le spot des Havanais à la nuit tombée. Sur ses 8 km de long, on y flâne, on y écoute de la musique, on bavarde avec les promeneurs, « c’est le lieu de rencontre typiquement cubain et dès qu’on parle espagnol, le lien est facile car les Cubains éprouvent toujours ce besoin fort de poser des questions, de savoir ce qui se passe dans le monde.»